À l’occasion d’une table ronde lors de la 5ᵉ édition du festival Femmes en Montagne, Louise Trincaz, athlète de l’équipe de France de ski-alpinisme, Joséphine Bourguignon, kinésithérapeute, et Agathe Janni, préparatrice mentale ont croisé leurs regards pour explorer les réalités, les exigences et les équilibres de la performance chez les athlètes de haut niveau.
Par Alexandra Szymanski et Ella Biehler
Dans le sport de haut niveau, l’entraînement est souvent conçu de manière générale, sans tenir compte des différences physiologiques entre les hommes et les femmes.
“Aujourd’hui, tandis que seulement 9% des recherches portent sur les femmes, 71% concernent exclusivement les hommes” Juliana Antero, chercheuse à l’INSEP, dans la préface du livre « Entraînez-vous comme une femme, pas comme un homme« . D’Emilie Rimbert.
La majorité des recommandations en matière d’entraînement sportif est basée sur la physiologie masculine. De l’adolescence à la ménopause, en passant par la grossesse et le post-partum, chaque étape de la vie d’une femme s’accompagne de défis spécifiques. Adapter l’entraînement aux réalités physiologiques féminines est essentiel pour :
- Prévenir les blessures
- Optimiser la performance
- Assurer une pratique sportive durable
- Permettre une carrière longue et réussie
Les étapes de la vie d’une femme et leur impact sur l’entraînement
L’adolescence : une période à risque pour l’abandon du sport
L’adolescence est une période où un taux élevé d’abandon du sport chez les jeunes filles est observé. Selon une étude de Santé publique France (2015), seulement 20,2 % des filles de 11 à 14 ans atteignent les recommandations de l’OMS en matière d’activité physique, contre 33,7 % des garçons.
Facteurs expliquant cette baisse de pratique :
- Normes et stéréotypes de genre : les filles sont influencées par des normes qui limitent leur engagement dans certains sports.
- Offre sportive limitée : Les adolescentes souhaitant pratiquer des sports collectifs rencontrent parfois des difficultés à trouver des sections féminines, surtout en milieu rural.
- Orientation vers des activités spécifiques : Les filles sont souvent orientées vers des activités comme la danse ou la gymnastique, mettant l’accent sur l’esthétisme, ce qui peut limiter leur engagement dans d’autres disciplines sportives.
Grossesse et post-partum : concilier maternité et performance
Longtemps considérée comme une pause forcée dans la carrière d’une athlète, la grossesse est aujourd’hui mieux perçue dans le sport ainsi que dans le sport de haut niveau. Il est désormais reconnu que maintenir une activité physique adaptée pendant la grossesse est bénéfique. (La poursuite d’une activité physique dépend, bien entendu, de chaque grossesse et nécessite des adaptations personnalisées.)
Enquête « Sport de haut niveau et maternité, c’est possible! » du ministère chargé des Sports (enquête de 2021 parue en 2022) révèle que 83% des sportives estiment qu’une activité physique adaptée peut être poursuivie tout au long de la grossesse.
La ménopause : adapter l’entraînement pour préserver la performance
La ménopause, souvent oubliée dans la préparation des athlètes, entraîne une diminution des œstrogènes, impactant la densité osseuse et la masse musculaire. Pour limiter ces effets, il est essentiel d’intégrer dans l’entraînement des exercices en charge et des impacts pour renforcer les os, ainsi que du renforcement musculaire spécifique afin de préserver les fibres musculaires explosives.
Les défis spécifiques aux femmes sportives
Inflammation, endométriose et douleurs menstruelles
L’inflammation est une réalité du sport de haut niveau, ainsi il est essentiel d’adapter la charge d’entraînement pour ne pas aggraver la douleur. Maintenir une activité physique adaptée aide souvent à réduire l’inflammation et à améliorer la récupération.
L’endométriose, encore trop méconnue, touche de nombreuses sportives et peut impacter la performance en raison de douleurs invalidantes. L’un des axes d’adaptation est d’éviter autant que possible la survenue des règles, car elles favorisent la progression de la maladie. Plusieurs solutions existent : traitements hormonaux, exercices de renforcement musculaire et de mobilité, ainsi que l’électrostimulation qui peut s’avérer efficace pour soulager les douleurs menstruelles.
Les fuites urinaires : un tabou dans le sport féminin
Les fuites urinaires, bien que fréquentes chez les sportives, restent un sujet tabou. Elles résultent souvent d’une hypermobilité de l’urètre due aux impacts répétés (course, ski freestyle, parapente). Une bonne préparation musculaire du périnée peut aider à réduire ces gênes et prévenir l’aggravation des symptômes. Des solutions existent, comme le renforcement musculaire adapté ou l’utilisation de protections en silicone spéciales.
La préparation mentale : Un levier pour la performance
Gagner dans la tête avant de triompher en compétition
Derrière chaque exploit sportif se cache un travail de préparation physique, mais aussi mentale. La performance ne se limite pas aux résultats : elle réside aussi dans la capacité à reconnaître ses propres forces et à les exploiter au bon moment. C’est là tout l’enjeu de la préparation mentale : fournir à l’athlète des outils pour l’aider à être efficace et concentré dans les moments décisifs.
Fixer des objectifs est une étape clé de ce travail, mais ils doivent avant tout répondre aux motivations profondes de l’athlète.
Agathe Janni, préparatrice mentale, insiste : « Ces objectifs ne doivent pas être uniquement fixés sur la base des attentes d’un entraîneur, d’une fédération ou d’un sponsor ». Selon elle, la performance ne se résume pas à un classement ou à un chrono. Elle doit être alignée avec le bien-être de l’athlète. « Performer, ce n’est pas forcément être la première. C’est être à 100 % de son potentiel au moment où on en a besoin ». La satisfaction personnelle devient alors aussi essentielle que la réussite sportive.
Femmes et confiance en soi : quand le doute prend trop de place
Se sentir à sa place, croire en ses capacités, oser s’affirmer : autant de défis invisibles derrière les exploits, mais pourtant bien réels.
« On est dans une société où les femmes sont souvent comparées aux hommes dans la performance et où elles se dévalorisent par rapport à ça », observe Agathe Janni.
Le syndrome de l’imposteur est quasiment omniprésent chez de nombreuses athlètes femmes. Même au sommet, certaines peinent à se sentir légitimes et voient leur confiance vaciller face aux attentes extérieures. Dans son travail, la préparatrice mentale rencontre fréquemment des sportives qui sous-évaluent leurs compétences.
« Les femmes athlètes ont tendance à minimiser leurs qualités. Lorsqu’on leur demande d’expliciter leurs points forts, elles répondent souvent par ce qui pourrait être amélioré, au lieu de simplement reconnaître leurs atouts ».
Pour déconstruire ces mécanismes de pensée, elle leur propose des exercices visant à prendre conscience de leurs qualités. L’objectif : leur permettre de se sentir légitime et d’aborder la compétition avec plus de sérénité.
Anticiper les obstacles pour mieux les surmonter
Loin d’être un simple outil de gestion du stress, la préparation mentale vise à installer des habitudes solides : fixation d’objectifs, visualisation, gestion des émotions. L’une des clés de cette démarche réside dans l’anticipation mentale.
Face à une compétition, un athlète ne peut pas tout contrôler, mais il peut apprendre à réagir aux imprévus. En visualisant divers scénarios, du plus favorable au plus difficile, il entraîne son esprit à réagir de manière optimale. Cette approche lui permet de rester maître de ses réactions, d’éviter la panique et d’aborder l’épreuve avec plus de sérénité. « On ne peut pas tout maîtriser, mais on peut se préparer à ce qui est maîtrisable », résume la spécialiste.
Psychologue et préparateur mental : des rôles distincts mais complémentaires
Si la préparation mentale est un levier puissant, elle ne peut être thérapeutique. Certains signes, comme des troubles du sommeil, de l’alimentation ou des signes de stress chronique, nécessitent un accompagnement psychologique. Dans ces situations, l’intervention d’un psychologue devient essentielle.
Le préparateur mental travaille sur la performance et l’optimisation des capacités, tandis que le psychologue s’occupe des problématiques plus profondes pouvant impacter la santé mentale de l’athlète.
« Il est crucial de savoir orienter un sportif vers le bon spécialiste au bon moment », insiste Agathe Janni. Son rôle n’est pas de se substituer à un suivi thérapeutique, mais de s’inscrire dans un écosystème global où chaque expert apporte sa pierre à l’édifice pour que l’athlète puisse performer comme elle ou il le souhaite.